Voici l’histoire d’une petite croisière Kervegon qui s’est construite à petits pas. Initialement, j’avais proposé une sortie sur le week-end des 22 & 23 juin 2024 car j’aime bien ce moment de l’année autour de la fête de la musique et des jours les plus longs. Mais cela ne semblait pas « faire recette ».
Puis une adhérente, Pascale, m’a d’abord demandé si elle pouvait ne s’inscrire que le dimanche. Réponse positive, d’autant plus qu’elle était jusque là la seule candidate, même si cette formule de navigation à la journée, à priori ne me séduit pas car cela réduit le champ des possibles. Et j’aime beaucoup débarquer dans les îles, ce qui nécessite au moins deux jours de navigation pour en profiter.
En échangeant avec Jean-Yves, un ami qui est également adhérent, celui-ci me demande le temps de la réflexion car il trouve que toute la gestion de l’avitaillement, tâche qu’il adore faire, lui semble un « gros investissement » pour seulement deux jours de croisière, et plus encore pour une seule journée.
Étant tous les deux retraités, je lui propose de prolonger ce projet de croisière le lundi et le mardi, mais pas plus car c’est bien connu, les seniors ont des agendas de ministres ! Jean-Yves en parle de son côté à Hervé, un voisin, lui-même propriétaire d’un petit voilier de 5,50 m, qui mord à l’hameçon. De mon côté, je prends contact avec Steven, une personne qui souhaiterait faire un essai sur une journée… Entre temps, Pascale est parvenue à négocier avec son employeur pour libérer sa journée du samedi… Tout cela s’est ainsi joué par téléphone et par mail, contrairement à mon habitude de réunir tous les participants lors d’une réunion de préparation, qui au-delà des aspects pratiques permet que l’on fasse connaissance et que la dynamique d’équipage s’amorce.
Vendredi matin 10h. Je retrouve Jean-Yves pour faire les courses d’avitaillement selon les menus qu’il a minutieusement préparés (mission que je lui avais confiée). Je consacre mon après-midi à préparer mon sac de mer selon la formule : tout ce qu’il faut, mais rien que ce qu’il faut ! Puis je consulte des sites de météo marine, relève les horaires et coefficients de marées , j’appelle la capitainerie pour vérifier l’emplacement du bateau au port du Crouesty… Tout cela fait partie pour moi du rituel de mise en condition.
Samedi 7h du matin. J’attends devant mon domicile l’arrivée de Pascale et Jean-Yves et je les embarque à bord de mon petit van Scudo. Peu de circulation, mais il faut bien compter 1h30 de route, avec un petit arrêt à la boulangerie d’Ambon pour récupérer les quatre pains marins commandés la veille. Ce temps de co-voiturage nous permet d’échanger sur nos souhaits respectifs.
Dès l’arrivée au port du Crouesty, Jean-Yves et Pascale s’affairent à ranger l’avitaillement tandis que je file chez le gréeur chercher le tambour d’enrouleur neuf (échange standard) que nous avons commandé. Jean-Yves, le second, connaît très bien le Kervegon, cela facilite la préparation du bateau et dès 10h30, nous larguons les amarres, grand voile parée à hisser. Le temps est nuageux et un peu frisquet pour la saison, mais la pluie nous épargne. Météo France annonce un vent de W-NW de 4 à 5 Beaufort. Nous hissons toute la toile et mettons le cap au sud. Pascale se révèle une excellente barreuse tandis que Jean-Yves est à la veille, ce qui ne l’empêche pas de beaucoup parler…
Il faut pourtant être vigilant car le plan d’eau est animé, notamment par la régate de la Classe Grand Surprise. La mer est peu agitée et nous atteignons l’île de Houat en un seul bord. A 12h45, nous jetons l’ancre devant la longue plage de sable fin de Tréarc’h Er Gouret et Jean-Yves, qui assure le rôle de cuisinier, nous prépare une succulente salade grecque. Après un bon café accompagné de l’excellent cake maison de Pascale, l’équipage gonfle l’annexe et pagaie ferme, face au vent, pour aller visiter l’île au pas de course tandis que le cap’taine reste à bord pour surveiller le navire et en profiter pour faire une micro-sieste !
Au retour des courageux, et après avoir dégonflé et rangé l’annexe, cap au nord pour un retour rapide (le vent n’a pas molli, contrairement aux prévisions) au Port du Crouesty. Amarrage à 18h50 à la place 12 du ponton H que nous a réservé la capitainerie. Rituel de l’apéro dans le cockpit puis repas de galettes de blé noir à bord. C’est le cap’taine qui se colle à la vaisselle. Veillée zen avec Pascale la discrète et Jean-Yves, le consensuel. Vers minuit, extinction des feux après un petit tour sur les quais où les régatiers Grand Surprise font la fête sous un immense barnum.
Dimanche matin. Après une nuit très calme, nous faisons connaissance avec Steven qui arrive pour 9h avec les croissants et se révèle fort sympathique. Il découvre le Kervegon et se sent vite à l’aise. L’objectif aujourd’hui, choisi collectivement, est de remonter la presqu’île de Rhuys. Nous larguons les amarres à 9h45 après avoir fait cuire du riz. Le vent faible de SE, annoncé de 2 à 4 Beaufort, nous permet néanmoins, en tirant quelques bords d’aller jeter l’ancre, quille relevée, dans l’anse de Suscinio, en face du château éponyme. Il est déjà 13h30. Jean-Yves tient à préparer sa fameuse salade d’avocat aux crevettes…
Pas le temps de faire une micro sieste. Il faut déjà lever l’ancre. Jean-Yves étarque à fond la drisse de GV (Grand voile) et nous constatons qu’elle a perdu sa gaine de protection sur plus de 10 cm en amont du taquet coinceur. Bien que ce soit l’âme qui fasse la résistance du cordage, j’appelle à la plus grande vigilance et je me promets de changer ce bout rapidement. . . Le vent faible a viré SW. Nous tirons des bords en faisant du rase cailloux. Ce n’est pas ma tasse de thé, car je suis adepte de l’adage : « en mer, le danger c’est la terre ». Puis, après avoir doublé la pointe St-Jacques où il nous reste encore 6 milles à parcourir au plus court et la vitesse fond chute sous la barre des 3,5 nœuds, je me résous à passer en mode diesel, car nos deux équipiers doivent rentrer sur Nantes ce soir. Steven prend la barre. Amarrage à 18h45 toujours en H 12. C’est Pascale qui fait la rentrée dans le chenal et l’accostage sous mon contrôle. Les sortants font leur sac. Nous faisons les comptes et le bilan, attablés dans le carré. Steven et Pascale repartent enchantés de ces bons moments passés ensemble et satisfaits d’avoir progressé, et avec la ferme intention d’y revenir… Avec Jean-Yves, on s’occupe du bateau, on prend l’apéro dans le cockpit et on déguste un très bon plat de pâtes au saumon. Ce soir, le vent est complètement tombé. C’est mer d’huile dans le port…
Lundi matin 9h. Arrivée d’Hervé, nouvel adhérent que je ne connais pas. Le courant passe immédiatement. Sur l’initiative de Jean-Yves qui connaît bien les talents de mécano d’Hervé et vu la pétole qui règne en maître, nous engageons le changement de tambour d’enrouleur. Et hop, en moins de deux heures l’affaire est close, je n’aurai pas à revenir jeudi prochain avec une équipe de valeureux bricoleurs.
Le soleil et la chaleur arrivent enfin. Nous dégustons une excellente salade de harengs et pommes de terre. 14H30, nous passons par le ponton carburant et prenons notre temps pour sortir du chenal. Car, avec un coefficient de 80, pour rentrer dans le Golfe du Morbihan, il faut attendre la renverse bien plus tardive que l’heure de l’étale. Et avec un vent de Nordet (NE), nous naviguons au moteur, GV bordée. Et voilà la Pointe de Port Navalo, la balise du Grand Mouton, puis nous contournons l’Île de la Jument. Nous relevons la quille au niveau du Banc de Kerbouzec, virons la Pointe de Penhap au sud de l’Île aux Moines, puis l’Île de Brannec pour aller jeter la pioche devant l’Île d’Ilur vers 16h30.
L’équipage gonfle l’annexe et s’en va visiter l’île tandis que je reste à bord, profitant de la quiétude des lieux ; quiétude malgré tout perturbée par des jeunes blancs-becs venus à proximité sur une vedette à moteur picoler et diffuser du bruit (Musique techno, rap…). Ok, je suis un boomer, mais cela paraît incongru dans cet environnement déclaré Zone Natura 2000. 18h, nous repartons en traînant l’annexe pour prendre un mouillage forain, près de l’Île d’Arz, à proximité de la cale de Pen Raz.
Cette fois-ci, nous allons tous à terre et nous découvrons avec plaisir un groupe de musiciens Béninois qui jouent du jazz.
Nous montons néanmoins boire un verre dans le charmant village. Nous passons ensuite une formidable soirée à bord (apéro, plat maison de lentilles aux lardons, coucher de soleil, discussions chaleureuses…). Mardi matin. Superbe lever de soleil.
Beau temps et vent faible d’E à NE. Nous attendons la renverse et remontons l’ancre à 10h30. Navigation en douceur à la voile, au grand largue, et même voiles en ciseaux. L’objectif étant la sortie, attention de bien laisser cette fois-ci les balises vertes à bâbord, car on peut vite perdre ses repères dans le golfe. L’effet du courant, d’abord faible, devient prédominant sur la force du vent. Le passage se resserre entre l’Île Stirbiden et la pointe de l’Ours. 11H30, nous passons la pointe de l’Île Gohivan, face au Logeo. 11H45, nous descendons la quille peu après la pointe de Saint-Nicolas. 12H05, au sud de l’Île Longue, nous enroulons le génois et démarrons le moteur pour rester manœuvrant dans un courant devenu très fort et provoquant de spectaculaires remous.
Il faut rester particulièrement vigilant. A 12h20, nous sommes véritablement sortis et reprenons la navigation à voile par 47° 32,5′ N et 2° 55,3′ W. Nous déjeunons en mer, cap au sud. Puis retour au moteur et amarrage à notre ponton habituel à 14h50. Nous avons ainsi le temps de nous attaquer au changement de la drisse de GV. Il ne faudrait pas qu’elle lâche à l’intérieur du mât.
Jean-Yves n’a pas son pareil pour rabouter avec précision le nouveau cordage avec l’ancien. Suspense, ça coince puis finalement ça passe. Je suis heureux de pouvoir laisser un navire en parfait état. Sous un soleil presque caniculaire, nous attaquons le rangement, nettoyage, check-up… La croisière se termine au bistrot du port par les comptes et le bilan. Nous nous félicitons, au-delà du plaisir de la voile, d’avoir su faire preuve d’écoute et de compromis pour que chacun y trouve son compte. Nous prenons la route, sereins, et sans allumer la radio. Cela nous a fait un bien fou d’avoir fait cette coupure durant ces quatre jours avec cette actualité du moment, plutôt déprimante et angoissante…
Alain Louche